mardi 26 janvier 2010

Du caractère diffamatoire de propos visant à dénoncer la dangerosité des pratiques d’un mouvement religieux.

Note sous Cour d’appel de Paris, n°08/06658, 10 juin 2009

Brard Jean-Pierre c/ Fédération Chrétienne des témoins de Jéhovah de France

Par Sébastien Lherbier-Levy

Dans son édition datée du 23 septembre 2009, le quotidien Le Monde reproduit, au registre des publications judiciaires, le texte suivant : « Par arrêt du 10 juin 2009, la 11ème chambre A de la cour d'appel de Paris a condamné Jean Pierre BRARD à indemniser la Fédération chrétienne des témoins de Jéhovah de France , à la suite de propos diffamatoires tenus par lui et diffusés dans le journal télévisé de TF1 de 20 H du 20 juillet 2006 ».

Cet arrêt, qui annule partiellement le jugement du Tribunal de grande instance de Paris du 11 juillet 2008 et condamne le prévenu à verser un Euro de dommages intérêts à la Fédération chrétienne des témoins de Jéhovah de France , revêt, en dépit de son caractère plutôt confidentiel, un intérêt certain pour le droit des religions.

En l’espèce, M. le député Brard a été poursuivi devant le tribunal correctionnel à la demande de la FÉDÉRATION CHRÉTIENNE DES TÉMOINS DE JEHOVAH DEFRANCE (FCTJF) après avoir tenu, à l'occasion de la diffusion d'un reportage sur la chaîne de télévision française TF1 dans le journal de 20 heures du 20 juillet 2006, les propos suivants : « Les témoins de Jéhovah, je vais vous donner trois exemples où ce sont de parfaits délinquants : se soustraire à l'impôt, condamner des personnes à mort en leur refusant la transfusion sanguine ou couvrir des délits très graves comme la pédophilie, vous voyez bien qu'on ne peut pas seulement s'en remettre à l'opinion publique, mais qu'il y a des lois qui doivent être appliquées ».

En juillet 2008, le Tribunal avait finalement relaxé le député Brard qui, dans un dans un communiqué de presse avait alors et notamment déclaré : « Ce jugement est un véritable réconfort pour tous ceux qui, au-delà de l’engagement des parlementaires eux-mêmes, osent mettre en lumière la dangerosité des pratiques de l’organisation des Témoins de jéhovah. Les procédures et les pressions ne sauraient être de nature à faire faiblir l’action des parlementaires, des associations de victimes et familles de victimes dans leur engagement pour combattre les dérives sectaires »[1].

L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris présente un double intérêt.

D’une part, en appel comme en première instance, M. Brard, invoquait au plan de la recevabilité de l’action, son statut de « député » et d’ancien vice président de la commission d'enquête parlementaire sur les sectes pour bénéficier de l'immunité parlementaire prévue par les articles 26 de la Constitution et 41 de la loi du 29 juillet 1881.

La notion d'immunité parlementaire couvre les opinions ou votes émis dans l'exercice de la fonction(article 26 de la Constitution), ainsi que les discours, rapports ou toute autre pièce imprimée sur l'ordre de l'une des deux assemblées (Loi du 29 juillet 1881, article. 41, alinéa 3). Dans la présente affaire, le Tribunal comme la Cour ont jugé que les propos litigieux ont été prononcés à l’occasion d’une interview télévisée et non dans l‘enceinte de l’Assemblée Nationale, plus de 10 ans après le rapport de la commission d'enquête parlementaire à laquelle l’intéressé appartenait.

C’est donc sur un double critère de lieu et de temps que la Cour d’appel a justifié sa position qui mérite, à notre sens, d’être approuvée. En effet, la Cour de Cassation a déjà eu l’occasion de retenir que l'immunité ne jouait pas pour un député (le même en l’occurrence), rapporteur de la commission d'enquête parlementaire sur la situation financière des sectes, qui a tenu des propos insinuant qu'une secte se livrerait à des activités de type mafieux en relation avec le grand banditisme.[2]

L'existence de ces commissions d'enquête parlementaire a d’ailleurs soulevé le problème de l'extension de l'immunité aux témoins entendus en leur sein. En 2008, le domaine de l'immunité parlementaire a ainsi été étendu par la loi n° 2008-1187 du 14 novembre 2008 relative au statut des témoins devant les commissions d'enquête parlementaire.[3] Cette loi a ajouté un nouvel alinéa 3 à l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881. Le nouveau texte dispose que « ne donneront lieu à aucune action en diffamation , injure ou outrage ni les propos tenus, ni les écrits produits devant une commission d'enquête créée, en leur sein, par l'Assemblée nationale ou le Sénat, par la personne tenue d'y déposer, sauf s'ils sont étrangers à l'objet de l'enquête, ni le compte rendu fidèle des réunions publiques de cette commission fait de bonne foi ». La rédaction de ce texte, copiée sur celle du texte relatif à l'immunité parlementaire proprement dite, devra faire l'objet de la même interprétation stricte et ne concerner que les propos ou écrits tenus ou produits devant la commission, ainsi que les comptes rendus fidèles à l'exception de tout commentaire.

D’autre part, la Cour d’appel, constatant tout d’abord et c’est important, que la décision de relaxe était définitive dans la mesure où seule la FCTJF a interjeté appel, a réexaminé au fond le caractère diffamatoire des propos poursuivis sous l’angle de la « bonne foi ».

Rappelons que l'admission de la bonne foi suppose que l'auteur des propos ait agi sans animosité personnelle, en poursuivant un but légitime, avec prudence et mesure dans l'expression, en ayant rapporté la preuve de la véracité des propos tenus.

En tout premier lieu, la bonne foi implique l'absence d'animosité personnelle. Cette exigence est délicate à apprécier. En effet il ne s'agit pas d'une simple absence d'intention de nuire. Ce caractère ne disparaît pas lorsque le propos est exprimé de bonne foi. Ce qui est, à tout le moins exigé, c'est l'absence d'implication subjective de la part de celui qui s'est exprimé. Ainsi, seules les expressions malveillantes proférées pour caractériser les imputations diffamatoires sont exclusives de la bonne foi.[4] L'animosité personnelle empêche en effet toute objectivité et ne peut justifier les propos tenus au prétexte d'informer le public. Cette exigence apparaît donc préalable à toutes les autres.

Ce n'est que dans un second temps que peut être prise en compte la légitimité du but poursuivi. Celle-ci est, à son tour, essentielle. Il faut que l'information soit utile et pertinente. Tel ne serait pas le cas, par exemple, si le fait révélé s'agissant d'un homme politique était relatif à sa vie privée et non à ses fonctions antérieures.[5] De surcroît, la fin ne justifie pas les moyens. Toute comparaison à cet égard avec la légitime défense serait abusive ; c'est tout le contraire d'un contrôle de proportionnalité qui s'exerce ici : la légitimité du but poursuivi ne suffit jamais pour laver de tout caractère délictueux des propos portant atteinte à l'honneur ou la considération d'une personne. Il est ainsi jugé “que la volonté d'informer le public n'est pas exclusive de l'intention de nuire”.[6]

En troisième lieu, les notion des « Prudence et mesure dans l'expression », constituent des indices de ce que l'imputation diffamatoire est restée proportionnée à la gravité des propos dénoncés. La jurisprudence impose par exemple une obligation de pondération aux journalistes et à tous ceux qui s'expriment publiquement. Aussi, le juge n’accepte pas que l'on puisse porter des accusations avec "désinvolture et légèreté"[7].

En quatrième et dernier lieu, l’exigence de sérieux de l'enquête ou de la vérification de la source est appréciée de plus en plus sévèrement. Ainsi, pour la Cour de cassation, “le devoir d'objectivité du journaliste lui impose de vérifier préalablement l'exactitude des faits qu'il publie”[8]. Cela implique de procéder au recoupement de l'information trouvée ou reçue.

Dans le contentieux qui nous occupe, M. le député Brard excipait de sa bonne foi devant la Cour d’appel en soutenant que ces quatre conditions habituellement exigées étaient réunies.

En dépit d’un « antagonisme réciproque » entre les parties, le Tribunal comme la Cour n’ont pas retenu que les propos du député avaient été marqués par une animosité personnelle à l'encontre de la partie plaignante. De même la Cour a confirmé la position du Tribunal s’agissant de la « base factuelle suffisante pour s'exprimer », reconnue au député, admettant l'excuse de bonne foi.

Mais à l’inverse, s’agissant des accusations visant à imputer aux témoins de Jéhovah la volonté de se soustraire à l'impôt et à couvrir le délit de pédophilie, la Cour d’appel de Paris prend le contre-pied du jugement.

Notons tout d’abord que pour appuyer ses allégations, M. le député Brard produisait devant la Cour plusieurs arrêts

Sur la soustraction à l'impôt, la Cour retient que le mouvement des témoins de Jéhovah n’ayant donné lieu à aucune procédure pénale, le vocable « parfaits délinquants » était inapproprié et juridiquement inexact. A l’appui de son raisonnement, la Cour d’appel souligne encore que le contentieux opposant l'association Les témoins de Jéhovah » à l'administration fiscale fait l'objet d'un recours devant la cour européenne des droits de l'homme. Le second point du raisonnement de la Cour d’appel est sans doute critiquable dans la mesure où un arrêt rendu par la Cour de Cassation (ou le Conseil d’Etat) revêt force de chose jugée, un recours devant la Cour Européenne des droits de l'homme n'étant pas suspensif.

Quant à la volonté imputée à la partie civile de « couvrir le délit de pédophilie », la Cour ne reconnaît pas le droit au député Brard, en dépit de l'existence de faits criminels ponctuels, d'accuser « les témoins de Jéhovah» dans leur ensemble de commettre de graves infractions.

Ce raisonnement rejoint celui adopté en 2003 par la Cour de Cassation au sujet de propos diffamatoires relatifs aux sectes, mettant en cause les Témoins de Jéhovah, pour transformer les individus en " rouages ", laissant entendre que ce groupement avait recours à des moyens de pression de nature à faire perdre à ses membres tout libre arbitre.[9]

Enfin, la Cour d’appel retient l’absence suffisante de mesure, s’agissant des propos d'un parlementaire spécialiste des dérives sectaires lors d'un journal télévisé à une heure de grande écoute, interrogé à l'occasion d'une polémique publique créée par le rassemblement de très nombreux témoins de Jéhovah dans un stade.

M. le député Brard ayant formé un pourvoi contre cet arrêt le 12 juin 2009, la Cour de cassation aura l’occasion de se prononcer sur la délicate question des contours de la notion juridique de diffamation à caractère religieux avant que, peut-être, la Cour européenne des droits de l’homme ne soit saisie à son tour.

En attendant, la Cour d’appel de Paris a contribué à alimenter le débat juridique comme la vitalité de la vie démocratique.



[1] http://www.unadfi.org/IMG/pdf/communique_JP_Brard.pdf

[2] Cour de Cassation, 30 septembre 2003 : Bull. crim. 2003, n° 173.

[3] Loi n° 2008-1187, 14 novembre 2008 : Journal Officiel 18 Novembre 2008

[4] Cour de Cassation. crim., 14 avril 1992 , Bull. crim. 1992, n° 162.

[5] Cour de Cassation 28 février. 1989 : Bull. crim. 1989, n° 98

[6] Cour de Cassation.,ch crim. 5 novembre 1970 : Dalloz 1971, jurisprudence. p. 90.

[7] Cour de Cassation ch crim., 17 décembre 1991 : Bull. crim. 1991, n° 481.

[8] Cour de Cassation ch crim 26 novembre 1991 :; Bull. crim. 1991, n° 438

[9] Cour de Cassation. 2e civ., 11 décembre 2003 ; Association cultuelle Les Témoins de Jehovah de France c/ Pflimlin


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